C’est Brodeck qui est chargé de rédiger le rapport… Une mission qu’il aurait bien aimé refuser, mais il ne le peut pas. Parce qu’il sait écrire, c’est à lui que revient la charge de laver la conscience de son village. Un village qui a tué collectivement, « l’Anderer », l’Autre. Un Autre dont on ne connaît même pas le nom, mais dont on sait qu’il dérangeait comme peut le faire parfois un miroir. Brodeck qui n’a pas participé à la tuerie doit remettre son rapport, le plus détaillé possible en enquêtant et en questionnant. Ce sera l’occasion pour lui de se raconter, parce que « raconter est un remède sûr » (Primo Lévi que Claudel reprend). Les histoires se suivent et se mêlent, celle de sa vie dans les camps après avoir été dénoncé par ce même village parce que lui aussi était finalement un « Anderer », sur sa femme enfermée dans le silence depuis son retour, mais aussi sur le côté sombre de l’Humanité, celle qui pousse à la lâcheté et à la mort.
"Le rapport de Brodeck" de Philippe Claudel, Stock, 2007 (F)
Claudel évoque et passe avec beaucoup d’habilité d’une histoire à l’autre sans perdre le lecteur en route. Sur fond de troubles, et l’on aura rapidement deviner la seconde Guerre mondiale et le problème de l’Alsace culturellement proche de l’envahisseur, et autour de plusieurs intrigues – les raisons du meurtre ou encore le silence de sa femme, - qui ne se dénouent que dans les dernières pages, le lecteur est finalement capturé littéralement par l’auteur.
Mais ce roman au scénario bien ficelé comme beaucoup de romans de Claudel, s’il m’a effectivement pris au piège dans ses filets, me laisse sans véritable surprise. J’y ai trouvé quelques clichés et surtout quelques longueurs. On y retrouve finalement les mêmes clefs que dans les « âmes grises » et le sujet, la partie la plus sombre de l’humanité, a déjà été de nombreuses fois traités – on peut penser dans un tout autre style aux « Bienveillantes » mais surtout aux récits de Survivants. Mais rassurez-vous, le style Claudel est bien (trop ?)présent et il me tardait de connaître la fin de l’intrigue. Un roman bien écrit et efficace donc. Un bon Claudel.